Divines, portrait d'une jeunesse
- Frédéric Le Compagnon
- 28 sept. 2016
- 4 min de lecture
Le premier long métrage de Houda Benyamina frappe fort les esprits. Elle filme, en plein cœur d'une cité, les espoirs de deux amies en proie à plusieurs échecs dans leurs vies respectives. Caméra d'Or au dernier festival de Cannes, Divines est à la fois visuellement beau, magnétique et puissant. Décryptage.

La religion au cœur de la dramaturgie
Le film s'ouvre sur une prière dans une petite mosquée feutrée d'une cité de banlieue. Il se terminera sur une scène quasi biblique pour illustrer le drame qui clôt ce film qui nous prend corps et âme.
Caricatural me direz-vous ? Absolument pas.
Divines est un bouleversant récit d'une jeunesse qui se cherche et qui, sans cesse, demande une certaine reconnaissance. Dounia, personnage principal féminin interprété par la brillante Oulaya Amamra, nous apparaît derrière une petite fenêtre grillagée. Dès les premières secondes son destin est scellée : elle est en dehors de cette mosquée mais semble malgré tout derrière les grilles d'une prison. Cette prison c'est la cité et le camps de Roms dans lesquels elle vit. Elle rêve d'ailleurs.
Générique. Le son puissant de Nisi Dominus de Vivaldi nous résonne en plein dans les oreilles. Des frissons se font sentir sur nos bras. On croyait à un chant tout droit venu d'une église. Le générique est formé de Snapchat des deux amies unies à la vie et à la mort. Nous apparaît alors, entouré de deux tours de cité, le ciel bleu puis le titre du film. Annonciateur d'espoir et d'une possible sortie de tout ce gris bétonné vers un bleu azur salvateur.
La religion guide ce film d'une manière admirable. Elle n'est pas utilisée à tous les plans mais marque des tournants dans le récit des jeunes femmes. Le premier, on vient d'en parler, dans ce générique qui scelle leur amitié. Le second, dans une église, face au Christ représenté sur un vitrail, Dounia deale du shit et murmure « Pardonne-moi mon Dieu ». Elle demande la rédemption pour tous ses actes de vols et de trafics de drogues qu'elle effectue pour la gourou Rebecca. Où plutôt pour l'argent qu'elle reçoit. Car c'est l'argent qui, selon elle, la mènera hors de cette vie. Cette scène magique de l'église est portée par un Requiem de Mozart. Le troisième tournant, l'ultime. À la toute fin du film, après le drame, Dounia s'agenouille au sol le regard bercé de larmes. La Sainte-Vierge nous apparaît alors dans un subtil jeu de mise en scène où derrière la tête de l'actrice on aperçoit une aura lumineuse. La scène est accompagnée de Et in terra pax de Vivaldi (chant composé à partir des paroles de la Bible). La scène est d'une telle violence, d'une telle intensité qu'elle nous scotche à notre siège nous laissant sans voix. Dounia se lève alors et est rejointe par le père de sa meilleure amie Maimouna (il est Imam) ; dans ces ultimes secondes c'est la Vierge Marie qui fait face à Dieu. Lui donnera-t-il la rédemption qu'elle attendait ?
La religion est l'une des âmes de ce film choc, telle une moralisatrice elle apporte à ces jeunes en mal de vivre une plus grande humanité mais aussi les condamne pour leurs actes malveillants.
Une jeunesse en perte de repères
Quel est véritablement le sujet de Divines ? Ce n'est en tout pas, à mon sens, la cité. Elle est présente bien évidemment, mais c'est un décor, un personnage. Le sujet fondamental du long métrage est la jeunesse. Une jeunesse mal à l'aise dans son époque, dans ses études et dans sa famille. Une jeunesse en perte de repères fondamentaux pour se créer une réelle personnalité. Une jeunesse en rupture avec le système scolaire.
Dounia n'a vraisemblablement pas de père, sa mère l'aime mais ne le montre pas, elle assume un travail de serveuse dans un petit bar de nuit sans prétention. Elle passe le plus clair de son temps à boire pendant son service et a ruminer ses malheurs. Dounia aime sa mère d'un amour profond et sincère. Cette dernière ne s'en rend même pas compte. Alors quand elle trouvera des yeux bienveillants en la personne de Djigui (vigile dans un supermarché et danseur en quête de professionnalisme), elle espère sortir du carcan d'une vie qui ne l'a satisfait plus.
Sa meilleure amie, Maimouna, elle, est enfermée dans le cocon familial. Son père l'Iman de la cité a une telle emprise sur sa fille que cette dernière en suivant Dounia aspire à une certaine liberté.
La réalisatrice a choisi comme décor une cité de banlieue, mais elle aurait très bien pu en choisir une autre. Mais en choisissant justement de placer son film dans cet urbanisme trop souvent décrié elle en fait un portrait sensible, émouvant et dramatique à la fois. Proche d'une certaine réalité.
Je tiens par ailleurs à souligner les prestations de l'ensemble des acteurs. Tous inconnus ou presque. Ils sont d'une telle fraîcheur, d'une telle spontanéité. Cela fait du bien de voir de nouvelles têtes.
Quant à la cinéaste, pour son premier film, elle maîtrise parfaitement son sujet. Tous les plans sont captivants de réalisme et de professionnalisme. Je tire mon chapeau à une cinéaste qui, je l'espère, ira loin.
Courez-y, Divines est un petit chef d’œuvre moderne comme on en fait plus.

Divines, en salle depuis le 31 août 2016
Caméra d'Or Festival de Cannes 2016
Réalisé par Houda BENYAMINA
Durée 1H47
Avec Oulaya AMAMRA, Déborah LUKUMUENA, Kévin MISCHEL, Jisca KALVANDA, Yasin HOUICHA.