top of page

Les Anges de Balthazar - Partie I

Écoute la lumière qui s'éloigne de mon corps,

Lorsque la nuit s'apprête à faire vibrer la mort,

Derrière le mur de peur là où commence le brouillard,

Écoute le bruit du fouet des anges de Balthazar.

Ponce Pilate, « Les anges de Balthazar »

L'homme roulait depuis plus d'une heure maintenant. Sur la route, la lune éclairait l'asphalte anthracite de ses reflets d'argent.

À présent, ses yeux s'étaient habitués à l'obscurité.

Il releva la visière de son casque.

Sa voix... Comment l'oublier ? Grave et espiègle à la fois.

Il tira l'accélérateur de sa Honda CX, dépassant les 100 km/h.

Ces mains, plus chaudes que les feux de l'enfer.

Il devait la retrouver. À tout prix.

Voilà l'intersection qu'il cherchait. Vincent décéléra et fit grincer le frein à tambour de sa machine.

C'était bien ce croisement. Il n'y en avait pas eu d'autres auparavant sur la route. Il vit un calvaire avec la statue de la Vierge blanche, les paumes tournées vers la lune, suppliante.

Vincent hésita cependant quant au choix de la direction. Difficile de se rappeler le chemin que la voiture avait prise l'autre nuit.

Il enleva son casque et béquilla sa moto.

Il fermait les yeux, essayant de se concentrer. Il devait faire confiance à son instinct.

Un étang se trouvait à sa droite et à gauche, une immense demeure. À en juger par ses contours dans la nuit, elle devait dater de plusieurs siècles.

Oui, j'approche de l'endroit.

Vincent avança vers la propriété. Pas de portail mais une simple chaîne retenue à deux piquets par un clou. Il l'enjamba. L'allée était recouverte de graviers.

Ce devait être ici.

L'homme essayait de se remémorer mentalement la configuration des lieux.

L'herbe. De la pelouse à la fin du chemin. C'est ça. On s'approche.

Il se souvint avoir marché sur l'herbe humide. La jeune femme l'avait guidé, tel un aveugle, jusqu'à un endroit extérieur où des chants résonnaient.

Les voix des anges. Des voix de femmes.

Un frisson parcourut le dos de Vincent.

Combien de pas ai-je pu faire en sortant du véhicule l'autre nuit ? Son bras me conduisait.

– N'enlève pas ton bandeau. Ce n'est pas encore l'heure, m'avait-elle murmuré.

À présent Vincent distinguait dans la pénombre, non loin de la première bâtisse, les ruines d'une ancienne abbaye. Il ne restait que les pierres qui avaient servi de soubassement autrefois.

Il remarqua une ombre verticale et rectangulaire. Il s'aventura dans ces restes de lieu sacré, suivant l'allée centrale qui menait à l'ancien chœur et à la forme rectiligne aperçue au loin. C'était un autel en pierre. Vincent enleva ses gants de cuir et posa ses mains sur l'autel.

Froid et rugueux.

Profonde déception. Ce n'était pas ce qu'il avait dans ses souvenirs ni dans tous les rêves qu'il avait pu faire par la suite. Où sont les traces du rituel maléfique ? Vincent décida de s'adosser contre la surface glacée et de repenser à cette nuit de frénésie.


J'avais fait sa connaissance durant la décade d'un colloque en Vendée. On m'avait alors convié à donner une conférence sur les mystères et légendes du bocage. Ma présentation n'ayant lieu qu'à la fin de la semaine, je pouvais aisément me concentrer sur mes recherches sur la thanatophilie dans les musiques extrêmes actuelles.

Au troisième dîner du colloque, je m'étais installé près de la cheminée de granit de la salle à manger. La plupart des visages m'étaient alors encore inconnus, excepté ceux de quelques éminents chercheurs. À la tablée d'en face, entre deux hommes grisonnants, se trouvait assise une femme. L'intensité de son regard me frappa. Est-ce moi qu'elle regarde ainsi ? me demandai-je.

Sans cesser de me dévisager, elle trempa ses lèvres dans le fluide carmin de son verre. Pétrifiante, songeais-je. Qui est-ce ? Une intervenante du colloque ? Mais pourquoi n'a-t-elle pas été présentée ? Non, elle est bien trop jeune.

Elle semblait effectivement venir d'un autre monde. En tout cas, pas du même que celui des fonctionnaires poussiéreux. Ses cheveux étaient clairs et contrastaient avec sa robe noire. Elle portait une ceinture de skaï avec des têtes de clous apparentes.

Sans prévenir, la jeune femme se leva de table et prit la direction du hall d'entrée, n'adressant pas même un regard aux hommes qui s'arrêtèrent de manger pour observer la chute de ses reins. Sa démarche me paraissait exagérée, théâtrale. Cette femme semblait vouloir qu'on la remarque.


Je pris une pomme en guise de dessert et partis avant la fin du repas.

Je montais dans la chambre que l'on m'avait attribuée pour la semaine. Étendu sur le lit à baldaquin, je pensais à cette femme hypnotisante. Je glissai une main sur mon sexe tendu, fermant les yeux.

Soudain, trois coups distincts retentirent contre la porte de ma chambre...


(to be continued)

 RECENT POSTS: 
Pas encore de mots-clés.
 SEARCH BY TAGS: 
bottom of page