Les Anges de Balthazar - Partie III
- Cassandre C.
- 29 déc. 2017
- 6 min de lecture
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« Il s'aventura dans ces restes de lieu sacré, suivant l'allée centrale qui menait à l'ancien chœur et à la forme rectiligne aperçue au loin. C'était un autel en pierre. Vincent enleva ses gants de cuir et posa ses mains sur l'autel... »
« J'avais fait sa connaissance durant la décade d'un colloque en Vendée... »
« À la tablée d'en face, entre deux hommes grisonnants, se trouvait assise une femme. L'intensité de son regard me frappa. Est-ce moi qu'elle regarde ainsi ? me demandai-je... »
« Soudain, trois coups distincts retentirent contre la porte de ma chambre... »
« Je reconnu la femme de la tablée d'en face. Étrangement, elle avait changé de robe... »
« – Je ne veux rien vous dire Vincent. Je veux vous montrer un spectacle qui vous saisira aux tripes... »
« Je sentis un sol meuble sous mes pieds. Ce devait être de l'herbe humide à en juger par la façon dont ils s'enfonçaient dans le sol. Nous marchâmes quelques mètres encore avant de nous arrêter. Je sentais en face de moi un feu ardent. Un brasier ?... »
« Le son d'un instrument à cordes, dissonant retentit dans la nuit, entamant une mélodie étrange... »
« Les chants grandissaient alors tout autour de moi. Je frissonnais. Cela avait assez duré. Je m'apprêtai à ôter mon bandeau mais plusieurs mains m'attrapèrent et me firent tourner en cadence avec elles. Une ronde de sabbat... ?... »
« La musique changea d'atmosphère. Elle se fit plus lente. La mélodie d'un synthé résonnait maintenant dans la nuit... »
« La femme au parfum saisit mes mains et les posa sur ses seins, nus ?... »
« À présent la jeune femme soupirait, tremblant sous mes caresses. Des mains vinrent à mon secours, retirer tout reste de civilité. Nu comme un ver, le sexe tendu... »
Me demandait-on de fouetter ainsi cette femme ?
J'hésitais un instant. Mais déjà des mains m'incitèrent vivement à obéir. Soit, je m'exécutai.
Après tout, cela doit faire partie du spectacle.
J'actionnais mon bras, prenant un peu d'élan. Un coup sec fouetta l'air nocturne. Le claquement retentit dans la nuit et s'abattit sur la chair tendre de ma victime. J'entendis la foule tressaillir. Des rires féminins atteignirent mes oreilles.
Ma main droite qui tenait toujours la ficelle n'avait pas bougée, suspendue dans le vide, prête à actionner je ne sais quel mécanisme. Les femmes de l'assistance clamaient mon nom : Vincent ! Vincent ! Vincent ! Un voix de femme à ma droite me dit alors :
– Entends-tu le public qui t'acclame Vincent ? C'est toi qu'ils attendent. À ton tour de jouer. Tire la cordelette Vincent. Lentement. Très lentement. Oui.
J'obéis, aveuglement. J'étais trop heureux de participer ainsi à un simulacre de sabbat. Il n'y avait pas un son, l'assemblée retenait son souffle. Qu'actionnait donc cette corde ? Je laissais libre cours à mon imagination. Tout ce qui comptait pour moi à cet instant était la réaction de la foule. J'étais à l'affût de sa moindre réaction. La femme au parfum, toujours à terre poussa un gémissement. Je ne pouvais la toucher, des mains maintenaient mon bras gauche, fermement. Je ne pouvais agir que sur la cordelette. Je décidai de mon plein gré de tirer un peu plus. Encore un peu plus.
Des voix montèrent dans l'assistance, des chuchotements, des murmures. Puis, je tirai la ficelle d'un coup sec comme pour achever mon geste dans un mouvement viril.
Un cri de femme résonna. Où plutôt un soupir. Je ne sais plus. Comme un souffle suppliant.
Les spectateurs m'applaudirent. Puis le bruit des percussions recommença.
On retira les instruments de mes mains. Mais je n'étais pas satisfait. Je désirais plus que tout ma proie, offerte, toujours chaude devant moi.
Je passai mes doigts en haut de ses cuisses. Elle était humide, collante, poisseuse. Je choisis cet instant pour la pénétrer, au plus profond d'elle. Elle ne se débattit pas. Sans doute en voulait-elle à nouveau ? Je redoublais mes efforts pensant qu'elle ne sentait rien après toute cette souffrance infligée.
J'allai bientôt atteindre les étoiles mais elle ne poussa pas un soupir. Rien. Enfin je m'abandonnai en elle. L'instant était divin. Je me laissai retomber sur elle délicatement. Je touchais ses cheveux éparpillés sur son visage. Sa peau me parut moins chaude. Je n'eus pas le temps de l'embrasser car déjà, des mains vinrent me relever.
Ces mains vinrent à ma rencontre et me baladèrent dans la foule. D'autres, plus douces, me touchèrent. Partout. Aucune partie de mon corps n'était épargnée. J'étais leur maître. Je sentais des lèvres se poser sur mon torse, mon sexe. Des parfums inconnus. Des rires cristallins. Jamais je n'avais ressenti autant de plaisir.
Enfin, deux mains m'emmenèrent et je marchais ainsi sur l'herbe. On me présenta des chaussures et l'on me rhabilla. Toujours avec le bandeau. L'on guida les pas sur le gravier. J'entendis la bruit d'une portière que l'on ouvre, puis je montais à l'intérieur du véhicule, effectuant le chemin à rebours.
Maintenant appuyé contre l'autel de pierre, je sentis un petit objet triangulaire sur le sol. C'était un médiator. Il portait une inscription. Je sortis mon téléphone pour l'éclairer et je lu : « Les Anges de Balthazar ». Intrigué, je fis une recherche sur Google. Je tombais sur une chanson d'un groupe français de 1986. Ce n'était pas ça. J'allais me renseigner sur Metal Archives.
Les Anges de Balthazar : groupe de rock gothique français à voix féminines. Le groupe est notamment connu pour ses textes s'inspirant d’œuvres littéraires telles que Justine de Sade ou La Religieuse de Diderot. Les Anges de Balthazar est réputé pour son utilisation d'objets de torture très réalistes sur scène : vierge de fer, cilice clouté...
Je regardai le line up actuel. Le pseudonyme de la chanteuse était Angela. Retournant sur la page d'accueil je tapai : « Angela groupe rock gothique ». Une page s'ouvrit (se chargeant lentement à cause du manque de réseau). La photo correspondait à la femme au parfum. Sa tenue de scène était particulièrement provocante. Elle portait une sorte de ceinture de fer à la taille. Une ceinture cloutée. Celle que j'avais sentie l'autre nuit sous mes mains. La photographie était accompagnée d'une légende :

Angela Adamcki. Originaire de Vendée. 1989- 2017.
2017 ? Je retournai sur l'article et fis défiler le texte jusqu'à la fin et lus :
Angela est retrouvée sans vie dans un bois dans la nuit du 20 au 21 novembre dans des « circonstances mystérieuses » selon la presse. « Depuis quelques temps, des jeunes adeptes de musiques extrêmes s'adonnent à des actes de perversion de plus en plus violents allant même jusqu'à recréer des messes noires ! » confie la police.
Des inepties. J'avais assez étudié moi-même ces pratiques dans le folklore musical. Trop d'incultes confondaient encore les termes de « sabbat » et de « messe noire ».
Je cliquais sur la photo. Je zoomai sur la ceinture, un détail que je n'avais pas remarqué me frappa. Un tout petit détail que je n'avais pas envie de regarder. La curiosité l'emporta finalement et j'allai au devant de ma crainte. La ceinture. La ceinture d'Angela n'était pas un gadget gothique de type Goéland, Rock A Gogo. Non, c'était en fait un cilice de clous. Un cilice véritable avec, sur le coin de la photo, un mécanisme actionnable par une petite cordelette. Je parcouru la suite de l'article :
L'autopsie révélerait également des actes de nécrophilie commis sur le corps d'Angela.
Des actes de nécrophilie ?
Non, ils devaient se tromper.
Qui ? …
Ses cheveux sur son visage, un voile.
Sa taille cerclée, trempée.
Le bruit des tambours et Angela.
Angela. Froide...
Je laissai tomber le téléphone dans l'herbe humide. Je courrai sans réfléchir vers la moto, à perdre haleine. J'enjambai la chaîne de l'entrée déchirant au passage une sorte de scotch que je n'avais pas vu en entrant. Sans équipement, j'enfourchais ma bécane et démarrai en gazant de toute mes force.
Non je ne voulais pas y croire !
En sortant de la propriété j'avais arraché un bout de ruban qui collait encore à mon bras. Il était de couleur rouge. Dessus était indiqué : « Police nationale – Scel----... »
Je relevais soudain la tête. Des phares en face m'aveuglèrent.
Le choc fut brutal.
Je vis pour la dernière fois la lune. Elle inondait de ses rayons d'argent les gouttelettes carmins sur l'asphalte anthracite.