Adolescence, jeux vidéos et psychanalyse : to play or not to play ?
- Aya Gérard
- 1 oct. 2016
- 7 min de lecture

I
Quand j'étais petite, je voulais être comédienne. Je voyais la vie comme un monde régi par la magie et le bon vouloir de forces mystérieuses. Je me disais qu'un jour je deviendrais écrivain. Chaque jour, je m'inventais un personnage différent, et lui trouvais un costume en mélangeant mes habits et mes jouets. J'écrivais des romans tous les week-ends. Et parfois, je me demandais si quelque part, ce que j'écrivais prenait vie dans un monde parallèle. Quand j'étais petite, j'étais persuadée qu'avec l'âge, des pouvoirs psychiques se développeraient chez moi, et que je deviendrais un druide à la manière des anciens. Quand j'étais petite, je voulais être un pirate. J'avais peur des vampires et du noir, et je faisais des pièces de théâtre avec mes rêves de la veille. Je vivais dans un monde fantastique dont j'avais dessiné la carte, et n'aurais troqué ma vie contre aucune autre. Mais c'est alors qu'arriva l'adolescence. Et avec elle, la découverte de l'obligation d'abandonner la clé des songes de mon monde imaginaire. Il fallait grandir, aborder une période difficile de la vie. Et ça n'était pas facile, de se sentir seule avec ses rêves.
J'ai découvert Morrowind par hasard, en flânant à Virgin. J'avais 13 ans. Mes parents, en bons représentants d'une morale bien assise sur ses principes, ont toujours associé les jeux vidéo à la violence. Et comme toute bonne adolescente, je m'attachais à transgresser ces idées pré-établies avec application. Cet après midi-là, j'avais séché le collège avec le projet de m'acheter un jeu. Et c'est sur l'étal de jeux soldés que par hasard, la jaquette de Morrowind m'interpella. Ce n'était pas mon premier jeu, mais il restera le premier qui m'a réellement marquée.
Je l'ai donc acheté, et lors d'un autre après-midi où j'étais seule chez moi, je pus enfin le lancer. Je me souviens encore du sentiment de liberté que j'ai éprouvé. Un monde entier était à ma portée, à découvrir et explorer selon mon bon vouloir. Magie, combat, rapines et quêtes épiques... Mon imaginaire était libre d'y incarner mes fantasmes d'aventure et de Merveilleux, l'histoire y était mienne, et fluctuait selon mes envies de justice ou de vengeance, s'adaptant aux théâtre de mes rêves contés par mes méninges. Mes jeux d'enfant, relégués à s'éteindre avec le temps de Grandir, y avaient trouvé un terrain de subsistance, un lieu où survivre.
Quant j'y repense, je crois que je ne retrouverai jamais une immersion dans un jeu comme celle qui se créait à chaque fois que j'y jouais. Je ne compte plus les centaines d'heures que j'ai passées à explorer l'Île, à tuer des légions d'éclaireurs kwama, fuir devant des braillards des falaises, chercher des objets de valeur à voler pour les revendre, accomplir des quêtes secondaires, me perdre à Molag Mar ou Vivec, explorer des grottes, des ruines, des temples, toutes les villes que je croisais salle par salle, PNJ par PNJ, coffre par coffre, sans avoir jamais dépassé la toute première ruine dwemer de la quête principale... Ca me paraît hallucinant aujourd'hui, le temps que j'ai passé sans jamais m'emmerder sur ce jeu. Au fil des vallées, villages et maisons, je me construisais des histoires, un personnage à part entière avec ses réflexions, son éthique, ses challenges, ses défauts, qui vivait mon exploration avec autant de sérieux et de théâtralité que celui que j'apportais à mon roleplay. Il faut le dire, à l'époque je n'avais absolument rien compris à la façon de jouer un RPG. Je pense simplement que j'ai inventé ma propre façon de jouer avec Morrowind, en faisant du jeu une sorte de théâtre de réalisation de mes fantasmes d'aventure. Et cette liberté que Bethesda a laissé à ses joueurs m'a permis de la développer.
Balmora, Ald'ruhn, Gnisis, ou la Côte de Mélancolie devinrent bientôt un refuge imaginaire, qui me faisait oublier pendant un instant la grisaille de la Réalité. Morrowind m'a ainsi accompagnée tout au long de mon adolescence et encore aujourd'hui, lorsque je lance une nouvelle partie, j'ai l'impression de rentrer dans un autre chez-moi, peuplé d'elfes noirs, de khajiits et d'orques.
II
Selon le psychanalyste Donald Winnicott, le jeu est un outil pédagogique particulièrement important pour l'enfant car en tant que vecteur irremplaçable de son développement personnel il devient en quelque sorte le « travail » de tout adulte en devenir. En effet, le jeu en tant qu'objet transitionnel permet l'apprentissage, aide à grandir et reste un vecteur de développement personnel tout au long de la vie du joueur. Pour la professeure Louise Sauvé, « le jeu favorise le développement d'habiletés de coopération, de communication et de relations humaines. Il favorise la motivation à l'apprentissage en améliorant la confiance en soi, l'engagement, le désir de persévérer. Il favorise le développement d'habiletés en résolution de problèmes, permet le développement de stratégies chez l'apprenant et l'amélioration de ses capacités à prendre des décisions, à comprendre un problème, à poser des hypothèses de solutions et à résoudre le problème étudié. Il permet donc aux apprenants de développer la logique requise pour résoudre un problème, et favorise la structuration des connaissances. »

Type de jeu particulièrement récent, le jeu vidéo possède une origine floue. A partir des années 1950, différents spécialistes la situent avec la création de divers jeux, tels OXO (1952), Tennis for Two (1958), Spacewar (1962), ou encore Pong (1972). C'est ce dernier jeu qui donna une impulsion à l'industrie vidéoludique avec la commercialisation de la première console de salon par Magnavox à la même date, l'Oddysey. Aujourd'hui un loisir tenant une place de choix dans notre quotidien et une industrie plus rentable que celle du cinéma, le jeu vidéo fait pourtant débat depuis son apparition. On l'a accusé de causer la violence (polémique à la sortie de Mortal Kombat ; lien entre la tuerie de Columbine et Doom), d'être trop addictif (médiatisation des « MEUHPORG »), de causer l'isolement, d'être vecteur de perversion, ou même de fanatisme (Wolfenstein).
Pourtant, force est de constater que très peu d'études se sont penchées sur la question pour démontrer les aspects néfastes de la pratique vidéoludique et, à ma connaissance, personne n'a pu encore prouver que le jeu vidéo « rendait violent ». J'entends par là une violence sortie du cadre virtuel, dont le jeu vidéo serait la cause (les accès de rage face à son écran ne comptent pas ! On en a tous vécu, et ça n'implique pas de devenir colérique ou violent dans la vie de tous les jours).
A l'inverse, un nombre encore plus réduit de psychiatres et de psychanalystes s'intéressent aujourd'hui aux bienfaits de ce medium, Serge Tisseron et Michael Stora faisant partie des rares ayant étudié l'intérêt de cette pratique en termes de développement, à l'adolescence notamment.
Selon Michael Stora, le jeu vidéo valorise l'estime de soi, développe la motricité fine, la notion de persévérance, de spatialisation, ou de multitasking. Cependant, Serge Tisseron pose quelques conditions à la pratique vidéoludique. Les enfants ne devraient pas jouer avant 6 ans, n'utiliser que la console avant 8, et ne pas jouer en ligne avant 11 ou 12 ans, tout en n'excédant pas un temps de jeu de 9 heures par semaine. Le psychanalyste définit le jeu vidéo comme un allié de choix de l'adolescent quant à sa construction personnelle, en précisant toutefois qu'une limite horaire est importante, pour que le jeu n'empiète pas sur les autres éléments nécessaires à son quotidien et à son développement personnel (acquisition des savoirs de base, sport, cercle d'amis, premières relations amoureuses...). Selon lui encore, les parents devraient accompagner leur enfant dans ses pratiques de jeu, pas forcément en jouant avec lui mais en échangeant sur ses expériences, pour l'aider à mieux les appréhender et prendre du recul.
Ainsi, le cadre virtuel permet à l'adolescent de se défouler de frustrations dans un effet cathartique (jeux de combat/FPS/Beat'em all) ; ou de décompresser, car il capture l'esprit, sollicite l'attention et la concentration mieux que toute autre occupation, puisqu'il est fondé sur une interaction permanente entre le joueur et le support qui n'autorise pas le vagabondage de la pensée. Selon Michael Stora, il permet aussi la valorisation de l'estime de soi et de l'action : « Dans notre pays nous ne valorisons que très peu l'action des personnes. Elles vont chercher dans la difficulté des jeux vidéo une source de valorisation qu'elles ne trouvent pas dans le réel.

Serge Tisseron estime par ailleurs que le jeu vidéo constitue un terrain particulièrement intéressant pour l'adolescent pour se familiariser avec sa psyché : « la rêverie trouve un support et un équivalent dans la pratique des mondes numériques. Elle se caractérise par le fait d'être en lien avec la réalité, mais sans projet de transformation du monde. Elle met en scène des scénarios de désirs où l'environnement réel est figuré, mais sans que le rêveur ne cherche à leur donner un début de réalisation dans sa vie concrète. Les performances exceptionnelles permises par les espaces virtuels permettent, selon les cas, de prendre la place d'un rival symbolique, de séduire une figure maternelle ou paternelle, d'agresser un personnage en situation fraternelle, de lui venir en aide, etc. » La pratique vidéoludique permet d'expérimenter dans un environnement sans conséquence la notion de bien et de mal, ou de travailler la représentation de soi, via la pratique d'un RPG par exemple : selon le psychiatre, la création d'un avatar invite à se pencher sur les différentes facettes de sa personnalité en se projetant dans le personnage que l'on crée, sans avoir à mettre de côté sa part « sombre ».
Enfin, Serge Tisseron affirme à ceux qui évoquent une addiction aux jeux vidéo qu'elle n'en est pas une puisqu'elle « guérit » bien souvent au passage à l'âge adulte, si cet éventuel rapport excessif n'est pas accompagné de problématiques familiales, pathologiques ou sociales. Les espaces virtuels prennent une place croissante et déjà bien établie dans nos quotidiens. Les jeux vidéo peuvent constituer donc un loisir qui aide à grandir, prendre confiance en soi et mieux se connaître. C'est une échappatoire aussi, et un lieu d'exploration de la psyché de l'adolescent important, je l'ai personnellement vécu avec Morrowind.

J'ai aimé découvrir les analyses de Serge Tisseron, parce qu'elles présentent un propos encore nouveau sur le medium vidéoludique. Les discours des médias classiques d'aujourd'hui, qui, à ma connaissance, soit diabolisent le jeu vidéo ou le valorisent pour des raisons financières, sont tous deux des traitements faciles du sujet qui pour moi n'aident pas les adolescents ou les joueurs en général à aborder leur consommation qui, comme Serge Tisseron l'a montré, peut présenter des aspects néfastes dans l'excès. Car oui, le jeu vidéo présente des avantages, mais aussi des dangers au même titre que les nouveaux paramètres relationnels virtuels représentés par Facebook (au hasard). A mon sens, nous avons besoin d'études comme les siennes pour permettre à ce nouveau loisir/mode de création d'être mieux connu, mieux appréhendé et donc mieux utilisé. Pour apprendre aux adolescents d'aujourd'hui à grandir avec, il faut sortir d'un discours réducteur et commencer à appréhender le medium vidéoludique avec une objectivité nouvelle, et reconnaître son intégration importante dans nos modes de vies contemporains. Cette reconnaissance est-elle en train de se faire, depuis que le jeu vidéo est devenu à la mode en même temps que la « geek attitude » ? En tous cas, à ma connaissance, encore trop peu d'actions éducatives sont menées pour aider les jeunes d'aujourd'hui à mieux utiliser ce média récent, mieux vivre et grandir avec.
Sitographie :