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Juste la fin du monde, histoire(s) de famille

  • Frédéric Le Compagnon
  • 11 oct. 2016
  • 5 min de lecture

La carrière de Xavier Dolan est prolifique, ses films intenses, se suivent mais ne se ressemblent pas forcément. Avec un casting de choix, Nathalie Baye en figure de proue, le jeune cinéaste signe un sixième film beau et sensible sur une famille en proie aux non-dits et aux silences pesants. Mais un film qui manque cruellement de profondeur.

Un film étouffant et hypnotique à la fois


Adapté d'une pièce du français Jean-Luc Lagarce, le nouveau long-métrage de Xavier Dolan suit Louis, jeune écrivain reconnu, de retour dans sa famille après douze ans d'absence. Une trop longue absence pour certains, un retour mystérieux et mal venu pour d'autres. Louis est là pour annoncer sa mort, atteint d'une grave maladie, son voyage est une sorte d'adieu aux siens.

Dolan nous plonge quasiment dès le début dans une sorte de huit clos étouffant avec des lumière sombres et des gros plans sur les visages des protagonistes. On peut lire chaque expression de leur visage, chaque pore de leur peau. On se sent pris au piège et en même temps on se sent hypnotisé par ce film prenant, de par l'intensité des silences qui règnent en maître du début à la fin du film. Souvent - le personnage de Marion Cotillard en tête - les personnages bégaient, cherchent leurs mots. Parfois aucun mot ne peut traduire nos maux les plus profonds, alors Dolan explore les silences et les regards avec une bouleversante vérité. Les acteurs, dans ces silences et ses regards, nous offre de magnifiques moments de grâce et de pureté absolue. C'est la grande force de ce film.

Le cinéaste nous propose deux sortes de scènes : l'une où Louis rencontre seul les différents membres de sa famille (Nathalie Baye dans ce qui semble être un cabanon de jardin, Léa Seydoux dans sa chambre, Marion Cotillard au détour d'un couloir et Vincent Cassel lors d'un long trajet en voiture) ou bien tous ensemble (à l'arrivée de Louis, lors du repas du midi, lorsqu'ils prennent le dessert à la toute fin). Le choix qu'opère Dolan en faisant rencontrer Louis seul face à tel ou tel membre de sa famille n'est pas mauvais, mais il s'agit plus d'une succession de rendez-vous alors que les scènes où ils sont tous ensembles représentent un véritable enjeu dramaturgique : va-t-il enfin dire la vérité ? Vont-ils enfin l'écouter. Car, le problème ne vient pas tant de Louis (Gaspard Ulliel dans le film) mais de sa famille. Il n'arrive pas à en placer une, jamais. Tous sont là à lui parler de leur vie, de son retour, de leur amour, de sa carrière ou de lui faire des reproches (magnifique scène de face à face verbale dans la voiture avec Cassel).


Secret(s) de famille


L'essentiel de ce film réside dans son (ses) secret(s) de famille. Le père est au centre de tout. La mère aussi. Qu'est-il arrivé pour qu'une famille se déchire à ce point et ne s'écoute même plus ?

La place du père détermine tout selon moi. Il n'apparaît pas dans le film, mort depuis quelques années, il n'est évoqué que par la mère - Nathalie Baye - pendant quelques secondes. Mais sa place est déterminante de par le fait qu'on devine qu'il pouvait être violent envers sa famille. Ce n'est qu'une hypothèse mais cela expliquerait beaucoup de choses. Enfin, le personnage de Vincent Cassel nous est montré en premier alors qu'il est adossé à une porte, la main fermée comme pour donner un coup. La boucle est bouclée de la même façon quand, à la toute fin du film, Cassel s'apprête à frapper son frère. Un magnifique plan de Cassel de face où la caméra se dirige vers le poing fermé du frère. Pendant de longues secondes, Dolan filme ce poing. Celui du frère ou père ? À cette violence envers Louis, la famille s'agite, la mère croit revoir son mari, Louis se retrouve face à un frère qui ressemble à son père. Cassel ne voulant pas devenir comme son paternel, décide de ne pas frapper son frère pour une raison obscure : il lui en veut d'être revenu. Ou alors a-t-il compris que cette visite serait la dernière, l'ultime ? Sans doute, et cela le terrorise.

Un trait physique réunit tous les personnages du film. La couleur de leurs yeux. Ils sont tous bleus. La mère porte quand à elle un maquillage bleu à deux reprises : aux ongles et aux paupières comme pour porter un double regard. Celui du père, encore lui. Sans cesse présent.

Mais alors, y aurait-il d'autres secrets de famille non révélés ? Sans aucun doute oui. Les deux frères, semblant si proches l'un de l'autre comme nous le montre l'un des flashback, ne sont aujourd'hui que chien et loup. Ces deux là s'aiment sans doute trop pour se parler calmement et se dire les vraies choses en face. Peut-être que l'aîné en veut à son cadet de n'avoir pratiquement pas donné de nouvelles durant douze années. Des secrets non révélés, qui resteront de simples hypothèses.


Des interprétations en demi-teinte


Un gros bémol selon moi, le manque cruel de profondeur dans le film. Tant du côté de Dolan que de ses acteurs. Le cinéaste nous a habitué à aller au cœur des choses, des actions, au cœur du propos. Rien n'est omis dans son magnifique J'ai tué ma mère (2009), encore moins dans le chef d'oeuvre Mommy en 2014. Ici, on reste en surface, on assiste à des retrouvailles mornes où les rendez vous avec chacun des membres de la famille se succèdent dans une continuité floue où le montage apparaît quelque peu bâclé.

Quand aux acteurs, la seule qui, selon moi, tire son épingle du jeu, est Nathalie Baye. Parfaite en mère centrale de cette famille en perdition. Elle aime son fils d'un amour fou malgré sa personnalité exubérante. Un maquillage « dolanien », une chevelure noire faisant ressortir ses yeux, son regard devient alors plus perçant. Mais le personnage de la mère est primordial dans le cinéma de Xavier Dolan, et Nathalie Baye ne déroge pas à la règle. Son dernier regard plein de larmes à son fils est bouleversant. D'autant plus qu'on comprend alors qu'elle n'a rien deviné de la véritable raison du retour de Louis. Jamais plus ils ne se reverront. Lui le sait, elle non.

Le reste de la distribution est éclatante, mais elle ne prend véritablement son sens que dans les moments de silence dont je parlais tout à l'heure. Marion Cotillard bégayante, à la fin on n'en peut plus. Cassel en gueulard, pareil. Léa Seydoux timide, ça en devient presque gênant. Quand à Ulliel il ne fait que le stricte minimum à mon humble avis. Sans doute la seule vraie erreur de ce casting.

À la toute fin, quand Louis reste seul sur le pas de la porte, tous semblent alors se momifier. Tout s'immobilise, et on termine par une belle allégorie de la mort à travers un petit oiseau blanc agonisant sur fond de Moby.


Malgré tout, ce film est à voir. Dolan prouve qu'il a tout d'un grand, qu'il maîtrise la mise en scène et son sujet. Reste quelques couacs qui auraient pu être évités. La musique laisse souvent à désirer. Les flashback sont sublimes et nous aide à y voir plus clair. La restitution de l'atmosphère est bien réussie, cette chaleur nous parvient jusqu'à nous.

Allez le voir, il en vaut quand même la peine.


Juste la fin du monde,

Grand Prix Festival de Cannes 2016

En salle depuis le 21 septembre 2016

Réalisation : Xavier DOLAN

Durée : 1h39

Avec : Nathalie BAYE, Marion COTILLARD,

Vincent CASSEL, Léa SEYDOUX

et Gaspard ULLIEL


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