Jackie, sublime et vertigineux
- Frédéric Le Compagnon
- 11 févr. 2017
- 4 min de lecture

Ces premières semaines de 2017 nous offrent de beaux films. Jackie du chilien Pablo Larraín ne déroge pas à la règle. Le cinéaste signe un biopic sublime et vertigineux avec une Natalie Portman toute en finesse, en douleur et en silence donnant une dimension unique à l'ex-Première Dame des États-Unis, icône incontestée, encore aujourd'hui.
Pablo Larraín nous suggère un film intimiste et au plus proche de ses personnages principaux. Comme pour entrer dans le deuil de cette femme en plein questionnement sur elle-même, ses enfants et son avenir.
Trois jours d'un vertige étincelant.
Le cinéaste chilien a choisi de centrer son portrait de Jacqueline Lee Bouvier, épouse Kennedy, sur seulement trois jours. Mais quels jours ! Ceux qui suivent l'assassinat de son époux, le populaire Président John F. Kennedy, en novembre 1963 lors d'un voyage à Dallas, jusqu'à ses funérailles grandioses. Quand j'évoque le vertige Jackie je pense à plusieurs éléments à la fois. Tout d'abord la musique signée Mica Levi (disponible sur les plateformes d'écoute légales) d'une intensité sans nulle autre pareille et donne au long métrage toute sa dimension tragique. Quand certains affirmeraient qu'elle met mal à l'aise, je dirais simplement qu'elle sert la trame du film. Elle accompagne les moments de solitude, de détresse et de douleur de Jackie Kennedy dans ce chemin de deuil qui vient de commencer. La musique est le premier choc vertigineux de ce film, qui nous poursuit jusqu'aux dernières secondes, mais aussi les premières. Le film, en effet, s'ouvre sur un noir d'une durée interminable (environ une quinzaine seconde dans mes souvenirs) sur cette musique. Le « la » est donné.
Deuxièmement, vertigineux par la façon de filmer les personnages. De près, de très près même. Pablo Larraín cadre admirablement ses acteurs/personnages. On lit les pores de leurs peaux, on est au plus profond de leurs âmes, de celle de Jackie Kennedy. On est happé par son regard d'une vérité foudroyante. Quelques instants après le meurtre de John F. Kennedy, on retrouve si j'ose dire son épouse dans le Air Force One, filmée en très gros plan, le visage en sang et en larmes. Pendant de longues minutes on observe le visage douloureux de l'actrice, ses yeux nous prennent et ne nous lâche plus. Elle s'essuie les yeux, les joues pour enlever le sang encore présent. Une scène d'une extrême violence tout en étant efficace par sa densité dramatique.
Enfin, vertigineux par sa mise en scène rudement bien menée. On ne décroche jamais du film, à aucun moment. Le cinéaste met tout en œuvre pour nous montrer une histoire avant tout humaine. Avec les moyens dont je viens de parler dans cette façon de montrer les personnages. Mais aussi dans des scènes où l'on semble vaciller avec elle. Par exemple, au cimetière où Jackie doit choisir l'emplacement du futur caveau pour son époux : les paysages sont brumeux, désertique, voire fantomatique. D'un coup, le jeune veuve, sous une pluie fine, se met à marcher plus vite, à courir même. Elle semble courir à sa perte et nous aussi. Filmer de dos on ne sait où va l'actrice tant l'horizon est obscurci par la brume. En quelques secondes, le cinéaste parvient à nous faire plonger avec Jackie dans sa détresse. Plusieurs petites scènes comme celle-ci nous mettent mal à l'aise mais au profit de l'histoire, car elles montrent toute la complexité du deuil auquel Jackie Kennedy devra faire face et la renvoie aussi à des moments sombres de sa vie (perte de deux de ses enfants).
Natalie Portman au sommet, entre solitude et fantômes…
L'actrice israélo-américaine, Oscarisée pour Black Swan en 2011, nous livre là une performance d'actrice d'une dimension rare. Se rapprochant de deux grandes Isabelle française : Huppert et Adjani. Corps et âme, Natalie Portman porte le poids de Jackie Kennedy. Même chevelure, même douceur dans le visage, même gabarit, même voix, même diction. Plus qu'un simple copier-coller, elle incarne l'ex-Première Dame avec intensité dramatique étonnante. Les gros plans de Larraín aidant, notamment dans des scènes difficiles (celle de l'avion évoquée toute à l'heure, ou encore celle du cortège funèbre vers la fin du film) où Natalie Portman attire tous les regards vers elle tant le sien est intense. L'une des scènes centrales du film nous donne à voir énormément : seule, le soir à la Maison-Blanche, Jackie boit de l'alcool, change de robes et déambule dans ce palais rempli de fantômes. Les siens, celui de John et ceux de ses enfants décédés en bas âges. Sur fond de Camelot, Pablo Larraín par cette sublime scène montre toute la solitude qu'éprouve la veuve Kennedy. Car au final, elle est seule du début à la fin. Natalie Portman occupe tous les plans ou presque, elle porte entièrement le film. Jackie Kennedy est totalement seule dans ce film, d'une solitude tragique. Elle n'écoute qu'elle même et ne s'intéresse à personne hormis John et Caroline ses deux enfants. Ainsi donc, le film suit la déambulation de Natalie Portman dans les méandres du symbole politique américain, souvent toute habillée de noir couleur du deuil mais également avec le célèbre tailleur rose Chanel tâché de sang, qu'elle ne voudra pas enlever tout de suite.
L'interprétation de Natalie Portman est forte et prenante. Elle reste en retrait mais est, paradoxalement, omniprésente. Elle pourrait bien damner le pion à notre Isabelle Huppert nationale lors des prochains Oscars...
L'ultime scène du film est ô combien évocatrice de tout ce qu'on vient de voir. Le souvenir d'un soir de bal à la Maison-Blanche, Jackie magnifique dans une robe rouge étincelant (rappelant le futur sang de son époux assassiné) dansant avec JFK à peine visible tel un fantôme (déjà…). Une valse qui tourne annonciatrice du temps qui passe. Quelques sourires, et ce regard de Jackie qui vous hantera toute une vie…
Jackie, de Pablo Larraín
en salle depuis le 1er février 2017 – 1H40
Avec Natalie PORTMAN, John HURT, Peter SARSGAARD, Max CASELLA, Billy CRUDUP.
• Nomination Oscar de la Meilleure Actrice pour Natalie PORTMAN